Balon se tenait auprès du forgeron et examinait ses armes. C'est qu'il s'apprêtait à passer une commande auprès de lui. Lors du tournoi, durant les mêlées, il avait pu manier un fléau d'arme, une arme contondante, moins élégante pour ainsi dire qu'une épée, mais dont le chevalier avait trouvé le maniement plutôt inspirant. Il en voulait un pour lui et avec cette guerre qui commence, il faisait bien de s'équiper tôt. Néanmoins, marchander avec des forgerons est toujours une affaire. Il finit tout de même par passer sa commande, à ce qu'il croit être un bon prix.

Épée au fourreau, dague au côté de son pantalon droite, juste au-dessus de sa botte, Balon arborait sa tenue habituelle, une veste de cuir, une chemise, bottes, pantalon, il ne passerait certes pas pour un paysan, mais pas plus pour un seigneur. Accompagné d'un camarade, chevalier des terres de l'orage comme lui, il se promenait à travers le quartier pour atteindre une place de marché. Là, de loin, il aperçut une jeune femme à l'air familier, qui semblait avoir quelques soucis avec un marchand. S'approchant, Balon eut tôt fait de reconnaître l'accent dornien de la demoiselle.

Ah les Dorniens... Les Swann leur ont fait la guerre depuis aussi loin qu'on se rappelle. Seigneurs de la Marche, ils ont défendu leurs terres contre bien des invasions et ont fait, en retour, bien des incursions en terres dorniennes. L'animosité envers ses gens se transmet de génération en génération. Dès son plus jeune âge, on avait inculqué à Balon de ne pas faire confiance à des Dorniens. De nature diplomate, le jeune chevalier tenta d'abord de calmer les esprits.

-Allons, Dornienne, ce marchand ne fait que son métier. Si tu veux faire de meilleures affaires, tu n'as qu'à retourner d'où tu viens. Tes gens t'y accueilleront mieux.

Diplomate? D'accord, peut-être pas tant que cela en faite, mais c'était plutôt fort que lui, cela était plutôt dans la nature des Swann. Restait à voir quelle allait être la réaction de la Dornienne, des femmes qui se croient l'égal des hommes.

Myria était sortie pour faire l’acquisition d'une paire de bottes, celles qu'elle avait emportées avec elle n'étaient pas adaptées à la vie en ville et un peu trop légères pour la saison. Elle se rendit au marché, espérant, si elle ne pouvait pas en trouver qui lui conviendrait, rencontrer un artisan qui serait prêt à prendre sa commande. Ses cheveux étaient coiffés, remontés avant de tomber en cascades dans son dos. Elle portait une robe dornienne qui la démarquait un peu dans la foule, tant par la coupe un peu osée que par les matières aériennes. Bien qu'elle avait fait réaliser une nouvelle tenue collant mieux à la mode de Port-Réal, celle-ci n'était pas encore terminée.

Le marché était bondé de monde, comme le reste de la ville d'ailleurs. Les gens ne se gênaient pas pour bousculer à tour de bras, tandis que les marchands beuglaient leurs prix et vantaient leurs produits. Elle finit par trouver l'endroit où étaient rassemblés les artisans du cuir et les cordonniers. Mais quand elle remarqua un vendeur dont le niveau lui parut correct et lui demanda son prix, celui ci commença à s'emballer, lui disant qu'il ne vendrait rien à une... hé bien je ne répéterai pas le terme qu'il employa, mais sachez seulement que ce n'était pas très poli, voir même extrêmement insultant. La discussion s'envenima plutôt rapidement, Myria n'aimant pas particulièrement qu'on insinue qu'elle était une voleuse ou encore une femme de mauvaise vie. Alors qu'elle disait le fond de sa pensée à cet insolent vermisseau, un autre homme se mêla à la discussion, pour en rajouter encore une couche.

La jeune Ferboys se retourna vers l'impudent, un sourire acéré aux lèvres. Oh, ce visage, elle savait qu'elle l'avait déjà vu quelque part. Ce fut les propos qu'il lui tint qui achevèrent de lui raviver la mémoire. Cet homme était un marchien et un marchien qu'elle connaissait.

- Merci de votre intervention, Ser. lui dit-elle, accompagnant ses paroles ironiques d'une ample révérence. Grâce à vous, j'ai enfin pris conscience que le comportement de cet individu était normal par chez vous et je m'en vais retourner là où le sobriquet de puterelle n'est pas un mot qu'on attribue à une noble damoiselle.

Son ton était calme et posé, elle brûlait d'une rage froide. Son regard était méprisait et son sourire le plus hypocrite et charmant qu'elle avait en réserve. Elle fixait droit dans les yeux le jeune homme dont le peu de tact avait réussit à effacer le charme.

Ah ces gens de Dorne, ce sont des gens fiers vous savez. Balon savait pertinemment qu'elle serait la réaction de la Dornienne, qu'il ne se souvient pas encore d'avoir rencontré, ceci dit, il est vrai que le visage de la demoiselle lui était familier. En tout cas, il avait pris la défense de ce mauvais marchand, car avouons-le, s'engueuler sur la place publique avec une cliente, ce n'est jamais très bon pour les affaires. Myria se tourna vers lui, tout sourire, mais Balon devinait bien sûr que ce n'était qu'un sourire de façade, le genre de sourire qu'on esquisse pour mieux cacher notre colère sourde. Elle poussa le vice jusqu'à le remercier de son intervention, ce qui, il doit l'admettre, le décontenança quelque peu. La Ferboys y mettait même la révérence et le jeune homme regardait autour de lui, comme pour constater s'il y avait des spectateurs, un petit sourire sur les lèvres.

Allait-elle se retirer ainsi sans faire d'histoire? Non, bien sûr que non, car c'est une Dornienne, une femme qui se croit l'égal des hommes. N'empêche, le chevalier sut un peu plus de quoi il en retournait et ce qui avait provoqué cette dispute. Puterelle... Dornienne ou pas, une dame, noble de surcroit, ne mérite pas qu'on la traite de cette façon. Le jeune homme, qui fixait Myria, eut un regard vers le marchand, tapotant la garde de son épée. Puis, il fit quelques pas de plus vers la Dornienne.

-Une langue de vipère ne t'aideras pas non plus à te faire des amis à Port-Réal, bien que je conçoive que tu n'es pas ici pour cela. Disons qu'on le remarque facilement.

Puis, tel le justicier improvisé qu'il était, il se tournait vers le marchand, posant ses deux mains sur la tablette qu'il avait.

-Vous en revanche, mon ami le marchand... Refuser de vendre à une Dornienne, c'est une chose. La traiter de puterelle en est une autre. Cette dame est une Ferboys et d'où elle vient, pour avoir dit une telle chose, on vous jetterait dans la fosse à serpents. Je ne vous demande pas de lui vendre quoique ce soit, mais excusez-vous au moins de votre insulte. Il en va du respect du rang de tous et chacun.

Balon avait dévoilé que tout compte fait, il se souvenait de Myria, bien qu'il pensait faire le contraire au départ. Oui, il se souvenait vaguement de cette querelle à la frontière, une chasse qui a un peu mal tourné si sa mémoire est bonne. Cette fois là aussi, il avait joué les diplomates, tandis que son frère semblait vouloir reproduire les guerres antiques. Même s'il prenait un peu la défense de cette dame de Dorne, sa pensée première demeurait: sa place est chez elle.